Le Convoi de l’eau de Akira Yoshimura

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Un homme étrange s’engage au sein d’une équipe chargée de construire un barrage en haute montagne. Perdu dans la brume, tout au fond d’une vallée mal connue, se révèlent les contours d’un hameau, mais les travaux ne sont pas remis en question par cette découverte : le village sera englouti sous les eaux.

Au cours de ce terrible chantier, le destin de cet homme entre en résonance avec celui de la petite communauté condamnée à l’exil. A la veille du départ qui leur est imposé, il observe les premières silhouettes alignées sur le sentier escarpé. Elles sont innombrables et portent sur leur dos un singulier fardeau.

Des images de toute beauté, inoubliables.

Extrait :

De l’avant de la file nous parvint un joyeux tumulte.

Les voix qui, s’élevaient dans la pénombre de la forêt déclenchèrent les cris aigus et les battements d’ailes d’oiseaux sauvages.

Nous avions tous attendu cet instant avec impatience.

Nous nous sommes arrêtés, avons levé la tête, avant de repartir au pas de course. Nous ne sentions plus le poids des sacs, ni nos jambes complètement engourdies. Malgré notre impatience, nous n’avancions pas comme nous le voulions, notre marche était pénible. Nos corps étaient tirés subitement vers l’avant ou vers l’arrière, exactement comme si la traction d’un long convoi au démarrage nous parvenait, et nous ne pouvions pas marcher selon notre propre volonté. C’était dû à l’épaisse corde qui nous reliait tous au niveau des hanches, mesure de sécurité indispensable pour éviter les dangers de la marche en montagne.

Le tumulte augmentait en se rapprochant. Mais comme les ouvriers situés à l’avant étaient restés arrêtés à l’arrière, nous nous bousculions sur le sentier forestier en écoutant ces cris de joie.

Bientôt autour de moi des voix irritées se firent entendre, adressées à l’avant de la file

 –  Avancez, avancez

La file se remit en mouvement.

La fin de la forêt était déjà visible au bout du chemin. Là-bas il y avait les rayons lumineux du soleil, et nos yeux alors que nous venions de traverser la sombre forêt étaient éblouis comme à la sortie d’un tunnel.

L’alignement des arbres s’interrompait sur un côté, et nous avons débouché dans les rayons lumieux. Nous étions arrivés à flanc de montagne et notre champ visuel s’ouvrait soudain.

– Repos ! Fit une voix à l’avant de la file.

Ayant jeté à terre les outils et les matériaux que nous avions sur le dos, nous nous sommes assis sur le chemin, la corde toujours enroulée autour des reins. Et nos regards ont plongé dans le ravin à nos pieds.

Le tumulte s’était calmé à notre insu, et un profond silence dominait. Il n’était certainement pas dû à la fatigue de cinq jours de marche forcée avec la peur des éboulements, mais à l’émotion que nous avions éprouvée lors de la découverte de la vallée ; la réalité de notre objectif nous avait tous rendus muets.

Au fond du ravin bordé par les versants dénudés de la montagne serpentait un torrent aux reflets métalliques. Et le long de cette eau resplendissante, nous apercevions tout en bas, discrètement blotti, le groupe de maisons dont nous avions entendu parler. Le hameau existait bien et se trouvait réellement à nos pieds.

Des fumées de cigarettes commencèrent à s’élever tranquillement çà et là au-dessus de la file. Les ouvriers s’étaient réfugiés dans le silence comme pour vérifier par eux-mêmes que le paysage qui s’étendait sous leurs yeux n’était pas dû à une quelconque illusion.

La vallée s’allongeait en longueur du nord au sud, et l’on pouvait voir au loin en dehors des maisons un semblant de terres cultivées.

Les quelques paires de jumelles apportées par les ingénieurs passèrent de mains en mains parmi les ouvriers. Lorsque mon voisin me les passa, j’essayai de les braquer sur les groupes de maisons du hameau. Conformément aux informations reçues à l’avance, les constructions étaient extraordinairement grandes et les toits fortement pendus.

J’ai déplacé les jumelles vers la vallée. Alors mes yeux ont capté quelque chose d’insolite.

J’en ai suivi des yeux l’étendue. Une étendue de pierre tombales absolument inimaginable. Dans un coin au nord de la vallée se dressait isolée une construction au toit de chaume qui ressemblait à un temple. Le regroupement de pierres tombales commençait là, pour s’étendre en se bousculant sur tout le côté gauche du torrent, s’étirant vers le sud de la vallée avec la même densité, ses extrémités allant jusqu’à grimper la pente naissante de la montagne.

La superficie occupée par le cimetière était incroyable. Elle représentait presque un tiers de la vallée.

Pour la vie en pleine montagne, la moindre parcelle de terre cultivable est précieuse. Les terrains plats des vallées doivent naturellement être cultivés et le cimetière aurait dû se trouver dans les bois à proximité. Du point de vue du bon sens, l’étendue occupée par les tombes du cimentière ne pouvait être que disproportionnée pour des montagnards en manque d’espace cultivable.

Mon avis :

Le « narrateur »  est un homme étrange qui conserve précieusement dans une petite boite cinq petits morceaux des doigts de pied de sa femme infidèle qu’il a tué devant son amant et ses enfants. A sa sortie de prison il se  fait embaucher dans une équipe d’ouvriers chargés de construire un barrage dans une vallée pratiquement inaccessible et au climat très humide. Au milieu, il y a un hameau caché là depuis des centaines d’années, coupé du reste du monde et qui doit  être englouti sous les eaux une fois le barrage construit.

Au fil des pages comme le torrent que l’on entend en bruit de fond, la vie s’écoule entre deux mondes, les habitants du hameau discrets et respectueux de la nature et de l’autre, les ouvriers qui percent la montagne à grand coup de dynamite.

Le suicide après son viol d’une jeune fille du hameau par l’un des ouvriers du chantier va conduire notre homme à trouver enfin la paix.

Le lent exil des habitants commence…

D’une très belle écriture aussi fluide que l’eau du torrent, Akira Yoshimura nous invite à suivre le Convoi de l’eau , un splendide récit envoûtant et étrange, de merveilleux paysages à couper le souffle et une fin étonnante.

Un livre à lire absolument !

ROKUDAN NO SHIRABE

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